Fouquetleaks

Parmi les nombreux papiers compromettant trouvés lors de l’inventaire effectué, à la mi-septembre 1661 à Saint-Mandé (résidence d’été de Fouquet), à la suite de l’arrestation du surintendant, les commissaires découvrent une cassette contenant des lettres “qui ne peuvent servir qu’à déshonorer quelques femmes pour la trop grande liberté d’écrire” (Lettre du conseiller de La Fosse au chancelier Séguier, 23 septembre 1661). L’arrestation de Fouquet, premier scandale, crée ainsi un second scandale à la cour : de nombreuses femmes, de tous rangs et toutes conditions, sont soudain susceptibles d’avoir eu une liaison avec le surintendant. Les rumeurs et les calomnies suscitées par cette affaire mènent à un traumatisme collectif qui place au coeur de l’actualité la question de la réputation des femmes.

La diffusion du scandale

Moins que les moeurs sulfureuses du surintendant, c’est donc la divulgation de ces liaisons - réelles ou imaginaires - qui crée le scandale, comme le souligne la lettre suivante de Chapelain à Mme de Sévigné :

Fallait-il encore, pour surcroît de dérèglements et de crimes, s'ériger un trophée des faveurs, ou véritables ou apparentes, de la pudeur de tant de femmes de qualité, et tenir un registre honteux de la communication qu'il avait avec elles, afin que le naufrage de sa fortune emportât avec lui leur réputation ? (Cité par A. Chéruel, Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet, surintendant des finances, p. 321)

Les rumeurs vont bon train. Quelques découvertes scabreuses rendent soudain tout le monde suspect, ainsi que le relate Mme de la Fayette dans ses Mémoires (publiées pour la première fois en 1731) :

L'on trouva dans les cassettes de M. Fouquet plus de lettres de galanterie que de papiers d'importance; et, comme il s'y en rencontra de quelques femmes qu'on n'avait jamais soupçonnées d'avoir de commerce avec lui, ce fondement donna lieu de dire qu'il y en avait de toutes les plus honnêtes femmes de France.

En plus des rumeurs, de nombreuses lettres probablement fausses commencent à circuler, prêtant à leurs victimes des comportements répréhensibles. Conrart se fait ainsi une joie d’attribuer à Mme Duplessis-Bellière les propos suivants :

Je vous ai découvert une fille qui ne vous coûtera que trente pistoles ; et si, vous la trouverez autant à votre goût et elle vous donnera autant de plaisir que celles qui vous coûtent tant d’argent. (cité par J. F. Michaud, Nouvelle collection des mémoires pour servir à l'histoire de France…, 1838, p. 614)

Ces lettres apocryphes ne cesseront de causer des dommages durant toute l’étendue du procès Fouquet. Olivier d’Ormesson rapporte qu’en 1664 encore, le chancelier Séguier aurait dit “que l'on s'était plaint avec raison des lettres infâmes qui avaient couru lors de sa capture ; qu'elles étaient supposées et que l'on n'en avait publié aucune, le roi n'ayant pas voulu commettre la réputation des dames de qualité. (novembre 1664).

Le climat à la cour est ainsi des plus délétères, et l’obtention d’informations fiables semble impossible. Une confusion dont témoigne Chapelain, dans une autre lettre contemporaine de l’affaire à Mme de Sévigné (laquelle sera finalement innocentée) :

Je sais bien qu’on a dit de vous comme des autres beaucoup de mal comme de bien et à charge et à décharge […]

Lettres et documents privés mis à part, on trouve un autre écho de cette affaire en 1664 dans le Recueil de pièces galantes… de La Suze-Pellisson. Avec le texte des Nouvelles Nouvelles, il s'agit, à notre connaissance, des deux seules publications du scandale issues de la littérature mondaine. [voir l'extrait]Une "Lettre de la Cour" y mentionne la chute de Fouquet et commente : « Quantité de personnes de toutes qualités ont part à sa disgrâce, et même de belles dames qui méritaient bien que leurs intrigues fussent cachées, si ce n'est qu'elles soient punies d'avoir prodigué leurs bonnes grâces qui ne devaient être gagnées que par le mérite, les assiduités et les respects qu'on ne trouve jamais dans ces séducteurs qui se servent de fausses clés d'or pour entrer dans le Temple d'Amour d'où ils ne sortent point sans scandale. Il faut pourtant avoir pitié de ces malheureuses beautés que l'ambition a surprises :

L'ambition est dangereuse :
C'est bien le plus subtil poison
Qui puisse troubler la raison
Et l'âme la plus vertueuse
Quand elle s'en laisse infecter,
Puis qu'elle sut précipiter
Les Anges remplis de lumières
Et que notre première mère
Sentit son mortel aiguillon.
Nous devons plaindre tout de bons
Les rigoureuses destinées
De ces dames infortunées. »

(Recueil de pièces galantes en prose et en vers de Madame la comtesse de la Suze…, Paris, Quinet, 1664, p. 10).

Les victimes

En dehors de deux amies proches de Fouquet (Mme du Plessis-Bellière et Mlle de Trécesson) sont impliquées des femmes dont la notoriété fait mesurer la gravité de l’affaire (liste non exhaustive).

Mais la victime qui en subit le plus grand préjudice est sans aucun doute Mademoiselle de Menneville. Elle fait partie de celles dont plusieurs billets ont été conservés dans ce qui nous est parvenu de la cassette de Saint-Mandé. En pleine ascension à la cour, elle en sera chassée et se retirera dans un couvent, où elle mourra quelques années plus tard.

Une stratégie de Colbert

Plusieurs aspects du déroulement des Fouquetleaks laissent envisager l’hypothèse que la divulgation de ces billets ne serait pas due au hasard, mais constituerait une manoeuvre destinée à assurer la chute définitive du surintendant.

Tout d’abord, ces billets auraient normalement dû être détruits, ce que les commissaires qui les avaient découverts prévoyaient de faire, comme l’atteste la lettre citée plus haut du conseiller La Fosse. Mais cette lettre témoigne surtout de la procédure inhabituelle que met en oeuvre Colbert pour récupérer rapidement ces documents. Si l’interrogation porte avant tout sur des questions de procédure par rapport au procès, il reste néanmoins que :

“La raison de notre doute pour la manière de notre obéissance a été que les papiers que l’on nous demande sont de trois sortes : 1° il y a des lettres missives presque toutes sans signature, et en des termes qui ne peuvent servir qu’à déshonorer quelques femmes pour la trop grande liberté d’écrire ; et, pour ces pièces non seulement nous ne faisons pas difficulté de les rendre sans cérémonie, mais même nous avons pensé qu’il était de la charité de les supprimer, et partant de les laisser sortir de nos mains pour satisfaire au désir que le roi a de les supprimer […]
(23 septembre 1661).

Or, ces pièces ne sont pas supprimées. Du moins, pas toutes, puisque le secrétaire de Colbert, Baluze, a constitué un recueil de certaines de ces lettres, qui peut encore être consulté aujourd’hui. Mais le recueil ne contient pas non plus tous les papiers : on sait que certaines lettres de Mme de Sévigné y avaient été trouvées - elles ne figurent plus dans l’état actuel de la collection. Comme s’il s’agissait de charger certaines personnes en particulier…

Enfin certains manuscrits prétendent qu’une véritable campagne de calomnie a été menée par Colbert. C’est ce que prétendent, par exemple, les Mémoires de ce qui s’est passé en l’instruction du procès de M. Fouquet :

Berryer, autre créature du Sieur Colbert, fit imprimer et publier sept ou huit lettres d’amour que l’on disait avoir été trouvées entre les papiers de M. Fouquet et non inventoriées par discrétion […]”
(cité dans L’Innocence persécutée, éd. M. F. Baverel-Croissant, p. 46, note 37)

La mise en cause de la réputation des femmes pourrait donc constituer une manoeuvre politique savamment orchestrée pour faire tomber la clientèle de l’ancien surintendant.

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