Les nouvellistes et la diffusion de l'information
A l'occasion des crises et évolutions politiques du XVIIe siècle, des individus ou des partis publient par voie orale ou écrite (feuillets, libelles, pamphlets, … manuscrits ou imprimés) des informations à caractère problématique, soit parce qu’elles ne devraient pas être rendues publiques (dans l’intérêt de l’Etat ou de certains groupes), soit parce qu’elles expriment une opinion dangereuse, soit parce qu’elles sont fausses. « Nouvelliste » est l'un des termes utilisés pour qualifier cette activité aux visages extrêmement divers. En ce sens, il constitue un équivalent français du « mentidero » espagnol (voir H. Hermant, Guerres de plumes, Madrid, Casa Velásquez, 2012).
Un terme polémique parmi d’autres
Les individus qui s’adonnent à ce genre d’occupations présentent des profils très variés (crieur public de balivernes comme auteur de pamphlet protestant), et peuvent être qualifiés par des termes multiples. Certains de ces qualificatifs traduisent une pratique réelle et précise : on parle de « gazetiers à la main » lorsque leur activité consiste à publier régulièrement des nouvelles par écrit. D’autres sont de nature péjorative : on parle de « beaux esprits » lorsqu’on veut mettre en cause les sujets sur lesquels raisonnent ces amateurs de nouvelles. En outre, ces diverses formes de diffusion de l’information sont souvent décrites sans pour autant qu’un terme particulier soit utilisé pour les qualifier :
Que de confuses voix, que de bruits différents, / Les uns aigres et
prompts, les autres doux et lents, / Des places, des maisons, des carrefours
s’entendent, / Et sur tous les quartiers de la ville s’étendent ! / Une nymphe qui
veille et les jours et les nuits, / Dans une creuse nue ouverte à tous ces bruits, /
Sans choix les y reçoit, sans choix les distribue, / Aux vents courriers de l’air, qui
passent sous sa nue, / Et qui sans distinguer les faux d’avec les vrais, / A cent
bureaux divers, les portent sans relais.”
Le Moyne, “La Carte de Paris”,
Entretiens et lettres poétiques, 1665 [privilège de 1660],
p. 58-59.
C’est dans cet horizon lexical que s’inscrit « nouvelliste », qui doit s’entendre seulement comme l’un des termes possibles. « Nouvelliste » est vraisemblablement une sorte de néologisme construit sur le terme « nouvelle » par les gazetiers en vers des années 1650 (Loret, Scarron…) pour satisfaire aux contraintes de la versification, aucun terme peu nombreux en syllabes ne désignant jusque-là « ceux qui diffusent des nouvelles ». Il ne désigne aucun référent stable et s’utilise pour stigmatiser n’importe qui dont le discours sur l’actualité pose problème, comme l’illustrent de nombreux exemples
Une occurrence isolée du terme en 1611 témoigne de son potentiel en tant que
néologisme. Dans le contexte des querelles religieuses en Hollande, il qualifie en
effet le parti des idées nouvelles [extrait]"Les Ministres de
nos Provinces sont encore assemblés à la Haye pour vider leurs différends, mais
y avancent peu. Chacun flatte son opinion et les nouvellistes font ce qu’ils
peuvent pour tirer l’autorité publique de leur coté et ce, par des voies qui ne
s’approuvent que par ceux qui sont déjà gagnés par leur doctrine."
(Lettre
de d'Aerssens à Duplessis-Mornay, 8 juin 1611, Mémoires de Messires
Philippes de Mornay…, vol. III, Amsterdam, Elzevier, [édition de
1652], p. 296.)
Dans les lettres de Varillas, les nouvellistes sont des individus qui publient des informations fausses et qui mettent en danger l’Etat. [extrait]Quand je commençais, Monsieur, à écrire, au retour du roi en cette ville, le 21 octobre 1652, la fin que je me suis proposée et qui m’a réussi, a été de détromper la meilleure partie de la terre, qui était infectée des calomnies et des impostures que les nouvellistes et les ennemis de l’Etat y avaient publiées durant le blocus et les autres désordres. (La Politique de la maison d'Autriche…", 1658, p. 138-139)
Dans la Lettre en vers de Loret du 3 septembre 1661, un certain Maturin Hénaut, condamné pour avoir publié des libelles, est qualifié de "nouvelliste". [extrait]“Certain malheureux nouvelliste, / Esprit brouillon, mauvais sophiste, / Qu’on nomme Mathurin Hénaut, / Fut hier, dit-on, bien penaud; / Car, sous prétexte de nouvelles / Ayant fait courir des libelles / Assez niais et peu savants / Contre des morts et des vivants, / Et pour avoir autrui honni / Ses gazettes écervelées / …”
La traduction des Entretiens du Tibre et de Rome (Leyde, 1665,
p. 32) de Gregorio Leti, auteur italien de pamphlets célèbre, décrit les
auteurs de libelles politiques par le terme de “nouvellistes”. [extrait] Le Tibre : Ils disent qu’on avait résolu au Palais de faire publier
un édit par lequel on condamnerait ces gens qui se mêlent d’écrire ces sortes de
nouvelles secrètes à la prison et aux galères, sans faire aucune rémission à
ceux qui y mêleront les choses du gouvernement ou quelque autre particularité
capable d’offenser le Pape.
Rome : Et crois-tu que les nouvellistes
cesseront d’écrire pour cela ?
T : Je crois que non, mais qu’ils prennent
garde à ce qu’ils feront, car on ne fait pas des têtes de bois, comme on en fait
des jambes.
R : Ils parleront en dussent-ils crever ; ne sais-tu pas que
Pasquin n’a point de mains pour ramer en galère, et qu’il ne craint pas la
potence, lui qui n’a que la moitié de la tête à perdre ?
Phénomène lexical intéressant : certaines éditions du précédent pamphlet
substituent “gazetier” à “nouvelliste”. [explication du phénomène] L’inversion des termes est ici possible par que l’on utilise
gazetier dans le sens de “propagateur d’informations indiscrètes”, qui devient à
ce titre un synonyme de nouvelliste (au sens politique).
Edition de Leyde :
Rome : Et crois-tu que les nouvellistes cesseront d’écrire pour cela ? Le
Tibre : Je crois que non, mais qu’ils prennent gardent à ce qu’ils feront, car
on ne fait pas des têtes de bois comme les jambes.
Edition d’Avignon :
Rome : Et pour cela pensez-vous que les gazetiers cessent d’écrire ? Le
Tibre : Je m’imagine bien que non : mais qu’ils prennent bien garde à leurs
affaires, car les têtes ne se font pas de bois comme les jambes.
Diffusion et contrôle de l’information
Sous l’Ancien Régime comme de nos jours, l’information constitue un enjeu fondamental. Pour toute personne d’un certain statut comme pour le pouvoir en place, il est en effet nécessaire de se tenir au courant des nouvelles publiques et privées, mais surtout, de maîtriser ce qui se dit, sur soi et sur les autres, un état de fait que La Mothe Le Vayer, notamment, fustige dans son opuscule "Des nouvelles de la Cour" (Nouveaux Petits Traités, 1659). La Gazette, en diffusant régulièrement le discours officiel de l’État, matérialise cet enjeu. En outre, les événements de la Fronde ont sensibilisé le jeune Louis XIV aux dangers d’une circulation anarchique de l’information : son accession au pouvoir s’accompagne ainsi d’une politique visant à contrôler sa diffusion (voir sur ce très riche sujet, Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle [3e édition, 1969], Genève, Droz, 1999, p. 662sq). Il en découle de nombreuses condamnations prononcées :
Contre des libraires. [exemple] Un arrêt du 22 août
1656, « sur l’avis donné que plusieurs personnes malveillantes, depuis quelque
temps s’étaient ingérées de composer plusieurs libelles séditieux, qu’ils
intitulent gazettes secrètes, et que depuis quelque temps ils se seraient avisés
de les faire imprimer, vendre et distribuer dans les rues par les colporteurs
ordinaires », condamne les nommés Louis Chevalier de Saint-Martin, Antoine et
Gentil, maîtres imprimeurs, à 24 livres parisis d’amende, applicables aux
pauvres de la communauté des marchands libraires, et à voir leur imprimerie
fermée pour six mois.
Cité par E. Hatin, Histoire politique et
littéraire de la presse en France, vol. 1, 1859, p. 56-57.
Contre des gazetiers à la main, parfois qualifiés de nouvellistes. [en
savoir plus] Les registres du parlement portent, entre plusieurs
autres condamnations, à la date du 9 décembre 1661, sentence contre un
nouvelliste, Marcelin de Laage, qui fut condamné à être fustigé et banni de la
ville de Paris pour cinq ans, avec défense de récidiver, et ce à peine de la
vie. Un autre arrêt, du 24 septembre 1663, condamne Elie Blanchard, natif de
Roué (Maine), pour avoir composé et écrit des gazettes, à être battu et fustigé
au milieu du Pont-Neuf, ayant pendus au cou deux écriteaux, devant et derrière,
contenant ces mots : Gazetier à la main.“ (voir la sentence du Châtelet)
E.
Hatin, Histoire politique et littéraire…, vol. 1,
p. 58-59
Le 3 septembre 1661, la gazette de Loret, à l’occasion de la condamnation déjà évoquée
ci-dessus du gazetier Mathurin Hénaut, propose un discours qui témoigne de la
réalité de cette production et de la répression forte qui s’exerce contre elle :
Certain malheureux nouvelliste, / Esprit brouillon, mauvais sophiste, / Qu’on
nomme Mathurin Hénaut, / Fut hier, dit-on, bien penaud; / Car, sous prétexte de
nouvelles / Ayant fait courir des libelles / Assez niais et peu savants / Contre
des morts et des vivants, / Fit, par sentence de justice, / Du maître et chef de
la justice, / Que confirme le parlement / Au Châtelet publiquement, / Tout du
long amende honorable, / Ayant, le pauvre misérable, / Ainsi qu’un très coupable
fol, / La torche au poing, la corde au col, / Et même tout nu en chemise /
(Digne guerdon de sa sottise) / De France, pour neuf ans, banni / Et pour avoir
autrui honni / Ses gazettes écervelées / Furent à Vulcain immolées / Comme d’un
criminel auteur / Par les mains de l’exécuteur; / Et défense à tout pauvre hère
/ De s’ériger en son confrère / En faisant main sot quolibet / Sur peine d’aller
au gibet.
Altesse qui dans ma pensée / Etes toujours fort bien placée /
Excusez cette triste fin / Le discours n’en est pas trop fin. / Mais à ces
écrivains ignares / Et souvent méchants ou bizarres, / Qui font des nouvelles
sous main / Dans le faubourg de Saint Germain / Ou bien dans les marais du
Temple, / Ceci pourra servir d’exemple”.
Le 17 février 1663, soit
quelques jours après la parution des Nouvelles Nouvelles, la
Gazette rapporte l'arrestation suivante :
Cette semaine,
l’un de ceux qui, au préjudice des défenses si souvent réitérées s’ingèrent
d’écrire et distribuer des nouvelles manuscrites a été fustigé dans les places
de cette ville par sentence de police qui le condamne aussi au bannissement
perpétuel, ce qui doit assez faire juger aux autres de sa profession que l’on
n’a pas dessein de se relâcher dans la poursuite qui en a été, ci-devant,
commencée et signalée par de pareils exemples.
(en ligne sur
Gallica).
Ces actions de répression répondent aux activités d’individus et de groupes qui ont, pour des intérêts divers, des raisons de faire circuler des nouvelles interdites, qu’elles soient fallacieuses ou véridiques. Ainsi, certaines personnes qui disposent d’un bon réseau de correspondants peuvent, par exemple, fournir des versions des faits sur la guerre en cours. Des groupes d’intérêts (politique, religieux,…) publieront, quant à eux, des pamphlets visant certaines orientations du pouvoir en place. Ces nouvelles et ces textes se diffusent notamment dans les lieux de fortes fréquentation : Pont-Neuf, Jardins du Luxembourg, Galerie du Palais, …
Plusieurs exemples illustrent la permanence d'une véritable « lutte des discours ».
Le rôle central de La Gazette [développer] Le 4 novembre 1661, Michel le Tellier adresse à Isaac Renaudot, propriétaire de la Gazette, l’ordre suivant : « Monsieur, pour justifier le révérend père confesseur du roi [François Annat] de la calomnie que les ennemis des jésuites ont publiée contre lui, j’ai eu ordre de Sa Majesté de vous faire savoir qu’elle désire que vous en désabusiez le public dans les premières gazettes que vous ferez imprimer, et que ce soit dans la forme expliquée dans le mémoire ci-joint. »
Les difficultés que posent le contrôle de l’information [développer] Le prince de Condé écrit au président du parlement de Bourgogne :
« Quant aux gazetiers dont vous me parlez, c’est un mal sans remède. Il n’y a
pas longtemps qu’on en a mis à la Bastille une douzaine tout en un coup, et cela
ne les rend pas plus sages. »
Cité par E. Hatin, Histoire littéraire
et politique…,vol. 1, p. 57.
Le projet d'une « Armée de plume » de Vauban. [développer] Dans le manuscrit de ses Oisivetés, on lit le projet suivant : « Les ennemis de la France ont publié, et publient tous les jours une infinité de libelles diffamatoires contre elle et contre la sacrée personne du roi et de ses ministres […] La France foisonne en bonnes plumes […] Il n’y a qu’à en choisir une certaine quantité des plus vives, et à les employer. »
La question épineuse des gazettes étrangères. [développer] Le début de La Comtesse d’Escarbagnas met en scène un échange avec un « nouvelliste » : « Ensuite, comme d’une chose fort curieuse, il m’a fait, avec grand mystère, une fatigante lecture de toutes les méchantes plaisanteries de la Gazette de Hollande, dont il épouse les intérêts. Il tient que la France est battue en ruine par la plume de cet écrivain, et qu’il ne faut que ce bel esprit pour défaire toutes nos troupes ; et de là s’est jeté à corps perdu dans la raisonnement du Ministère, dont il remarque tous les défauts, et d’où j’ai cru qu’il ne sortirait point. »
Représentations littéraires du phénomène
Ces diffusions anarchiques de l’information (par oral ou par écrit) suscitent des représentations communes dans la littérature.
La publication orale implique qu’un peloton de curieux et de badauds se forme
autour d’un orateur qui débite des nouvelles. [exemples]
Sorel présente cette image dans sa Relation du royaume de Sophie
(1659), p. 2 : « On ne voyait que gens attroupés aux places publiques ; les
conteurs de nouvelles étaient suivis de toutes parts, et l’on les écoutait aussi
attentivement que les prédicateurs et les maîtres de classe. »
Furetière en
décrit un à l’article « peloton » de son dictionnaire : « On voit dans les
places publiques les nouvellistes qui s'assemblent par pelotons pour apprendre
des nouvelles. »
Cette foule est composée de curieux inutiles, de badauds, qui se mêlent de
choses qui ne les regardent pas (ce trait sera couramment repris dans les satires
des nouvellistes). [exemples] Furetière, dans le
Roman bourgeois (1666), décrit, p. 164, un avocat fidèle des « gros pelotons de gens inutiles, qui tous les
matins vont au Palais, et y parlent de toutes sortes de nouvelles, comme s'ils
étaient contrôleurs d'Etat »
Dans le Dialogue de deux
précieuses, Somaize prête à l'une des interlocutrices les propos
suivants : « Ne savez-vous pas que le peuple tient conseil d’État au coin des
rues et sur le Pont-Neuf, qu’il y marie les grands du royaume, qu’il y ordonne à
son gré des bâtiments du Louvre et qu’il y gouverne non-seulement la France,
mais encore toute l’Europe et qu’enfin il est de toute impossibilité de
l’empêcher de parler ? » (1660, n. p.)
La littérature situe toujours la formation de ces pelotons de nouvellistes dans
des lieux publics très fréquentés : [liste non exhaustive] -
Galerie du Palais
- Pont-Neuf
- Cloître des Grands Augustins
- Jardin du Luxembourg
- Jardin des Tuileries
- Jardin du couvent des Célestins
- Jardin du
Palais Royal.
Enfin, les nouvelles qui y sont débitées sont souvent déjà caduques, ou
ineptes. [exemples] « J’ai parcouru les nouvellistes, / Les
hâbleurs, les méchants copistes ; / Mais leurs contes sont si douteux / Que je
n’ai rien emprunté d’eux. […] / Mais des drôles, tant là qu’ailleurs, / M’ont
dit, avec des tons railleurs : / Charles de Bourbon a pris Rome ; / Monsieur
Bayard fut un brave homme ; / Pepin le Bref fut un ragot ; / Défunt Gustave un
grand roi got ; / La reine Marguerite est morte. / Moi j’ai dit : Diantre vous
emporte / Vous et vos contes surannés ! » (Muse historique,
21 octobre 1656).
Dans les Nouvelles Nouvelles, un nouvelliste
s’empresse d’aller répéter que la Reine a accouché d’un garçon, quand le fait
est publique depuis plusieurs jours. (t. II, p. 231-232)
La production écrite est représentée surtout sous l’angle de ses lecteurs,
assidus à la lecture des gazettes. [exemples] Les
Nouvelles Nouvelles présentent un personnage qui se fait
escroquer par un vendeur de libelles, qui lui vend une pièce vieille de vingt
ans déjà. Le début de l’anecdote exemplifie la figure du consommateur de
nouvelles : « Un nouvelliste de mes amis rencontra un jour un de ces vendeurs de
pièces secrètes que l’on n’ose débiter publiquement. Il lui dit qu’il en avait
une toute nouvelle qui faisait grand bruit pour les vérités qu’elle disait, mais
qu’il n’osait ni la vendre ni la donner à lire, de crainte d’être découvert.
Après avoir excité par là la curiosité de notre nouvelliste […] » (t. II,
p. 255)
« Tous ces lecteurs de nouveautés / Dans ces boutiques
arrêtés, / L’un à son nez met la lunette / Afin de lire la gazette, / Ecrite en
prose, écrite en vers / Des nouvelles de l’Univers ; / C’est un plaisir, pour
ces lectures / De voir les diverses postures / […] / Ceux-là, dessus un banc
pressés, / Ceux-ci dans la porte entassés : / Car chaque boutique est si pleine
/ Qu’on n’y saurait tenir qu’à peine. / Celui qui lit plus promptement, / Prête
à l’autre un commencement ; / Un autre curieux demande / Une gazette de
Hollande, / Et celui-ci celle d’Anvers. » (François Colletet, Les Tracas
de Paris, Paris, Rafflé, 1653, p. 80-81).