Sophonisbe

Créée à l’Hôtel de Bourgogne, Sophonisbe est la troisième tragédie que Corneille fait représenter à la suite de son retour au premier plan en 1659, après Oedipe et Sertorius (La Toison d’or, pièce à machines donnée au Marais en 1661, constitue une entreprise de nature différente). Elle succède à Démétrius et Persée de Thomas Corneille, qui n’a tenu l’affiche qu’une semaine, et elle se trouve par conséquent en concurrence avec L’Ecole des femmes de Molière, créée le 26 décembre au Palais-Royal.

En choisissant pour sujet le destin funeste de la reine carthaginoise, Corneille se lance dans une entreprise déroutante aux yeux de son public : son geste est interprété comme une volonté de proposer un substitut à la Sophonisbe de Mairet, qui occupe une place incontestée dans le répertoire des pièces anciennes encore régulièrement jouées. Corneille se justifiera sur ce point dans la préface qui accompagne la version publiée de sa pièce.

Mais ce n’est pas la seule singularité de la Sophonisbe cornélienne. Les modifications apportées au caractère de l’héroïne, à la configuration du dénouement (Sophonisbe s’empoisonne avec son propre poison, après avoir refusé de se servir de celui que lui adresse Massinisse), l’ajout d’une rivale amoureuse de la reine, infléchissent profondément la signification de l’histoire rapportée par Tite-Live. Sophonisbe n’y apparaît plus seulement comme une femme forte, affrontant dignement le destin funeste qui lui est assigné, mais également comme une femme en proie à la jalousie amoureuse, ce qui l’amène à prendre des décisions qui vont entraîner sa perte. Les personnages masculins sont, quant à eux, présentés sous un jour défavorable : Massinisse se révèle comme un lâche insigne et Syphax adopte un comportement de cocu indigné.

La réception immédiate de Sophonisbe nous est inconnue. Ce qu’on sait, en revanche, c’est que quelques semaines plus tard, Donneau de Visé insère un discours critique sur la Sophonisbe au tome III de ses Nouvelles Nouvelles et que d’Aubignac fait paraître ses Remarques sur la tragédie de Sophonisbe de Monsieur Corneille (sans achevé d’imprimer, privilège du 8 février). Ces dernières ouvrent la voie à un échange de textes imprimés dans lequel Donneau de Visé jouera un rôle majeur et que l’histoire littéraire a retenu sous le nom de « querelle de Sophonisbe ».

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