La Critique de l'Ecole des femmes

Comédie de Molière représentée à partir du 1er juin 1663 (soit près de quatre mois après la publication des Nouvelles Nouvelles), et jouée en complément de L’École des femmes, dont elle assure le succès de nouvelles séries de représentations.

Une opération de communication

La Critique de L’Ecole des femmes offre le spectacle de vifs débats, au sein d’un salon, entre détracteurs et partisans de la dernière comédie de Molière. Rien n’autorise à penser que les arguments énoncés en faveur de cette dernière constituent une riposte à d’authentiques attaques qu’elle aurait essuyées, ni que les personnages de la pièce désignent, de manière précise ou évasive, de véritables adversaires de la réussite moliéresque. Bien au contraire, les documents dont nous disposons témoignent non de difficultés particulières de réception de L’Ecole des femmes, mais d’une effervescence qui s’est produite autour d’une œuvre atypique au point de susciter les jugements esthétiques les plus contradictoires. Dans les faits, la « querelle de L’Ecole des femmes », comme l’appellera l’historiographie du XIXe siècle, n’a pas eu lieu au moment de la création de la pièce. Elle est est en réalité une pseudo-polémique créée à dessein par Molière, dans laquelle La Critique fait office d’élément déclencheur.
(pour de plus amples précisions, voir G. Forestier, C. Bourqui, « Comment Molière inventa la querelle de L’Ecole des femmes », Littératures Classiques, automne 2013, p. 185-197).

La composition de La Critique de L’Ecole des femmes fait dès lors l’objet de manipulations axiologiques radicales : les détracteurs de la comédie sont entachés de vices rédhibitoires aux yeux du public (pruderie, pédanterie, opiniâtreté), alors que les partisans révèlent les qualités de sociabilité, de modération et d’humour que prise ce même public. Le système de valeurs est élaboré en sorte que l’auteur de L’Ecole des femmes apparaisse comme la victime des préjugés et de l’incompétence des adversaires de la culture mondaine.

En prétendant se défendre devant son public de critiques injustifiées et malveillantes dont il serait la cible, Molière retire plusieurs avantages :

Une comédie de salon

Pour favoriser l’adhésion du public, Molière choisit de faire de La Critique de L’Ecole des femmes une comédie de salon. L’univers fictif représenté correspond ainsi à l’univers de référence du public, le lieu où se déroule par excellence l’activité sociale et culturelle. Le même procédé sera appliqué trois ans plus tard au Misanthrope.

Mais l’approche n’est cette fois pas parodique comme elle l’était dans Les Précieuses ridicules. Il s’agit de présenter non l’équivalent dégradé d’un salon tenu par des personnages ridicules, mais, au contraire, un véritable salon où se côtoient personnages ridicules et personnages investis de valeurs positives.

L’accréditation et la légitimation de cet univers fictif aux yeux du public sont effectuées au travers d’un procédé d’ajustement de valeurs, qui passe par de rapides esquisses de conversations sur des sujets moraux (la diversité des jugements ; les extravagants ; les visites importunes), par l’affirmation de principes esthétiques (préférence pour le comique et pour les « petits genres » au détriment du tragique et des « grands genres », dédain des règles, leadership de la cour sur le plan du goût) et par la représentation des pratiques littéraires et le discours d’évaluation de la littérature qui les accompagne. Sur tous ces points, le texte de La Critique de L’Ecole des femmes manifeste une concordance avec l’opinion dominante dans les milieux mondains.
(pour de plus amples précisions, voir la notice de la pièce dans l’édition des Œuvres complètes de Molière, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2010, p. 1368-1378)

Deux entreprises parallèles : une publication simultanée

La création de La Critique de L’Ecole des femmes interfère avec la publication et la réception des Nouvelles nouvelles.

La pièce, représentée pour la première fois 1er juin 1663, est annoncée dès le 17 mars, soit plus de trois mois avant sa création, dans la préface de L’École des femmes, où Molière fait état d’un projet de « dissertation » « faite en dialogue », « ou si l’on veut », une « petite comédie », qui « réponde aux censeurs et rende raison de [s]on ouvrage », sans toutefois qu’aucun titre ne soit indiqué.

En revanche, au tome III des Nouvelles nouvelles, le titre de la future comédie de Molière est énoncé et le contenu du projet est en partie dévoilé :

Nous verrons dans peu, continua le même, une pièce de lui, intitulée La Critique de L'École des femmes, où il dit toutes les fautes que l'on reprend dans sa pièce, et les excuse en même temps. (p. 236)

Les grandes orientations stratégiques de l’entreprise de Molière semblent connues de Donneau de Visé, qui qualifie la future pièce de « critique avantageuse » ou d'« ingénieuse apologie » par laquelle Molière aura lieu de « donner d’amples preuves de son esprit ».

Je pourrais encore dire qu'il connaît les ennemis qu'il a à combattre, qu'il sait l'ordre de la bataille, qu'il ne les attaquera que par des endroits dont il sera sûr de sortir à son honneur, et qu'il se mettra en état de ne recevoir aucun coup qu'il ne puisse parer. Il sera, de plus, chef d'un des partis et juge du combat tout ensemble, et ne manquera pas de favoriser les siens. C'est avoir autant d'adresse que d'esprit, que d'agir de la sorte ; c'est aller au-devant du coup, mais seulement pour le parer, ou plutôt, c'est feindre de se maltraiter soi-même, pour éviter de l'être d'un autre, qui pourrait frapper plus rudement. (p. 238-239)

Or le troisième tome des Nouvelles Nouvelles ne possède pas d’achevé d’imprimer. Il est par conséquent impossible de déterminer s’il est paru en même temps que le premier (daté du 9 février) ou si l’impression a été effectuée ultérieurement - par exemple après le début des représentations de La Critique, voire après la publication de la pièce (7 août 1663) - et donc d’évaluer le degré d’exclusivité des informations que détient Donneau de Visé.

Deux entreprises parallèles : une communauté de pensée

Mais les rapports qui unissent les deux œuvres ne se limitent pas à cette imbrication de leur processus de publication. Nombre des idées qui compteront parmi les idées fortes des Nouvelles Nouvelles sont également formulées dans La Critique de L’Ecole des femmes :

Plusieurs motifs précis se retrouvent dans les deux textes :

[Liste récapitulative des fiches]