Les recueils collectifs

Dans les années 1650-1660, une catégorie d’ouvrages imprimés que l’on peut désigner sous l’appellation de “recueils collectifs” connaît un succès sans précédent. Ces ouvrages rassemblent et publient une multitude de pièces brèves de genres divers, en vers et en prose, tantôt anonymes, tantôt portant la signature d’auteurs différents. Loin de constituer un phénomène particulier dans les pratiques éditoriales, ces recueils sont au contraire révélateurs des logiques de composition et de diffusion des productions mondaines et, à ce titre, ils constituent un modèle éditorial pour les Nouvelles Nouvelles.

Une vogue remarquable

Si le concept de recueils collectif n’est pas nouveau, les années 1650-1660 voient les libraires s’engager dans une production soutenue de ce genre d’ouvrages. Chacun d’entre eux semble en effet lancer son propre produit. Ainsi, en 1652, Louis Chamhoudry fait paraître son Recueil de diverses poésies des plus célèbres auteurs de ce temps. Il sera suivi, l’année suivante, par Charles de Sercy, et ses Poésies choisies, qu’il renouvelle en cinq volumes successifs, jusqu’en 1660. En 1658, le même libraire lance en parallèle un Recueil de pièces en prose, les plus agréables de ce temps, qui se poursuit lui aussi en cinq volumes, jusqu’en 1663. Barbin, Sommaville, Ribou ou encore Quinet mettent sur le marché chacun un titre de recueil, qui perdure quelques années par la mise en vente de plusieurs parties.

Cette vogue semble s'essouffler progressivement au cours des années 1670. La naissance, à la fin de la décennie, du Mercure galant, qui assume des fonctions similaires, accentue ce déclin.

Des plateformes de publication

Le contenu de ces livres est d’une remarquable diversité, ce qui constitue l’un des principaux arguments de vente souligné par les libraires dans les avis “Au lecteur”. Loin de se limiter à la poésie, on trouvera donc, suivant les recueils, des nouvelles, des lettres, des pièces galantes (loterie d’amour, portraits, …), mais aussi des contenus d’actualité, tels que, par exemple, des narrations allégoriques sur les nouvelles tendances vestimentaires.

Les recueils offrent donc l’occasion à toute une production mondaine d’être imprimée. En effet, considérés individuellement, ces créations sont trop courtes pour constituer un volume à elles seules. En outre, la publication collective et souvent anonyme permet d’échapper à la déconsidération qui accompagne le statut d'”auteur”, qu’on associe à la composition d’un livre personnel.

Les recueils, tels que ceux de Sercy, deviennent donc le support idéal pour ce type de production : en rassemblant des pièces éparses qui ne trouvent pas leur place ailleurs, on dispose de matériel en quantités raisonnables pour former un volume. Une fois le recueil créé, il suffit au libraire de lui adjoindre de nouvelles parties chaque fois qu’il dispose d’un nombre suffisant de pièces pour les imprimer. Si la première partie a trouvé son public, les suivantes bénéficieront de sa renommée, et le libraire assurera le succès, et la visibilité des auteurs qui paraissent dans son recueil, augmentant ainsi son prestige.

Cette structure permet ainsi aux auteurs mondains de publier leur habileté littéraire à grande échelle, et de bénéficier ainsi de la diffusion large et de la pérennité de l'imprimé, sans devoir assumer le statut d’auteur qui leur est normalement attaché. Pour le public, ces recueils constituent en outre un moyen d’accéder à une production plus ancienne, mais qui ne circulait jusque-là que dans un cercle restreint : à titre d’exemple, la seconde partie des Poésies choisies de Sercy contient plusieurs madrigaux de la fameuse Guirlande de Julie, jamais imprimés jusque-là.

Cohérence et branding

Les recueils mentionnés renoncent à toute structure d’encadrement et offrent les pièces qui les composent à la suite l’une de l’autre, sans que l’on puisse déceler un lien logique entre elles. Notons toutefois quelques exceptions. Dans le premier volume des Poésies choisies de Sercy sont réunies dans la même section les diverses pièces composées à l’occasion de la querelles des Jobelins et des Uranistes. De même, le premier volume du Recueil des pièces en prose inscrit une suite de pièces à l’intérieur d’un monologue épistolaire.

A défaut d’une cohérence interne, les recueils acquièrent en revanche une identité propre dans le champ littéraire. En prolongeant la fortune d’un titre (Poésies choisies, …) au travers de parties supplémentaires, les libraires capitalisent sur une réputation acquise. De même, les auteurs rassemblés dans les recueils sont ainsi présentés à plusieurs reprises - soit par leurs partisans, soit par leurs détracteurs - comme une compagnie, un groupe identifié. On trouvera chez Molière une allusion célèbre à ce phénomène, lorsque Madelon, dans les Précieuses ridicules, dit espérer recevoir chez elle “Tout ces Messieurs du Recueil des Pièces choisies” (scène 9).

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