Dialogue de l’Éventail et du Busc – Fiche élaborée par L. Moulin

Inséré dans le second tome des Nouvelles Nouvelles, le « Dialogue de l’Éventail et du Busc » est une pièce en prose dans laquelle deux accessoires se disputent la préférence de leur maîtresse, Caliste, partie se promener sans eux au bras d’Araxe, son amant. La pièce prend la forme d’un billet d'Érimante, rival malheureux d’Araxe : s’étant endormi alors qu’il attendait le retour de Caliste, il assiste en songe à l’improbable dialogue de l'éventail et du busc de celle-ci et apprend ainsi sa défaveur. La retranscription de son rêve lui permet d’informer galamment son amante qu'il est au courant de son infidélité, tout en s’illustrant par ses qualités d’esprit et de cœur. Sous son apparence frivole, le « Dialogue de l’Éventail et du Busc » exploite et interroge les codes tant langagiers que gestuels de la France galante.

La principale originalité de ce dialogue est de faire de deux accessoires galants féminins les principaux protagonistes de la pièce. À ce titre, le « Dialogue de l’Éventail et du Busc » fait figure de première dans le corpus contemporain. Seule pièce des Nouvelles Nouvelles à porter cette dénomination générique parmi une majorité de conversations, de scènes, et de poèmes, le dialogue présente également une structure énonciative particulière en trois niveaux (méta)discursifs : il donne ainsi à lire les points de vue du busc et de l’éventail, d’Érimante, ainsi que des nouvellistes, permettant d’exploiter leurs ethê respectifs pour offrir différents éclairages sur les modes galantes du second XVIIe siècle. Enfin, il se veut métaréflexif, et donne lieu à une discussion sur les pratiques mondaines de valorisation et de consommation de la littérature.

Le dialogue incongru de deux accessoires féminins

Donneau exploite à dessein les représentations gynocentrées du public, particulièrement prégnantes dans la littérature du temps. L’éventail et le busc sont deux accessoires que les mœurs ont réservés aux femmes : choisir de mettre en scène ces objets-là, à l’époque où les femmes sont considérées comme les véritables « arbitres du goût », revient à reconnaître leur influence en matière de galanterie.

Le busc et l’éventail sont en outre deux accessoires particulièrement galants. Généralement décorés et parfumés, ils constituent deux pièces maîtresses du badinage :

À l’époque où Donneau publie les Nouvelles Nouvelles, il n’est pas rare que des paragraphes entiers soient consacrés à des objets quotidiens :

Mais de parler d’objets à faire parler les objets, il y a toutefois un pas, que Donneau franchit en précurseur. Il s’inspire vraisemblablement de quelques dialogues singuliers parus au cours des années précédentes.

La publication de ce « Dialogue » dans les Nouvelles Nouvelles fonctionne à la manière d’un échantillon. Profitant de l’attrait des autres pièces du recueil de Donneau, la formule du « Dialogue de l’Éventail et du Busc » donne alors lieu à une nouvelle série galante. Quelques mois après la parution du troisième tome des Nouvelles Nouvelles, Donneau publie ainsi les Entretiens galants d’Aristippe et d’Axiane, dans lesquels il s’en inspire ouvertement, en donnant par exemple les dialogues « du Fard et des Mouches », « du Masque et des Gants », ou encore « d’un Grand Miroir et d’un Miroir de Poche ». Cette fois encore :

Les structures d’encadrement comme polyphonie

Une des particularités du « Dialogue de l’Éventail et du Busc » réside dans sa double structure encadrante, qui permet de donner la parole à tour de rôle aux deux accessoires, à Érimante et aux nouvellistes. La polyphonie qui en découle offre deux avantages :

Un nom peut finalement être ajouté à cette liste : l’auteur effectif du « Dialogue de l’Éventail et du Busc », qui a si bien su respecter, de l’aveu des nouvellistes, toutes les subtilités que l’expression galante exige. Cette auto-consécration silencieuse de Donneau – s’il en est bien l’auteur – révèle encore une fois tout l’intérêt des structures d’encadrement en tant qu’opportunité d’exploiter différents ethê. La convenance d’un propos dépend directement de sa prise en charge : tout peut être dit, tout est question de qui le dit.

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