Les nouvellistes dans la culture mondaine

Parmi les personnages de fâcheux, dont les travers servent, par effet de repoussoir, à délimiter l’espace des valeurs mondaines, figure en bonne place le quidam qui propose ou cherche sans retenue à obtenir des nouvelles. Ce type d’importun est bien représenté dans les textes de la période 1630-1660, bien qu’il ne soit pas désigné encore par le terme de « nouvelliste ». On le trouve ainsi évoqué :

De fait, cet envahissant amateur de nouvelles contrevient à la sociabilité de la conversation mondaine par son comportement inconvenant : il cherche à monopoliser le contenu et le déroulement de l’échange et s’apparente ainsi aux « grands parleurs », « ennemis de la conversation », que dénonce Faret :

Quel supplice insupportable est-ce à une personne, surtout si elle est seule, et pressée de quelque dessein, de rencontrer de semblables gens, qui pour rien du monde ne sauraient lâcher un homme, qu’ils ne l’aient assassiné du récit de tous leurs affaires, et de tous les procès de leurs parents et de leurs voisins?”.
L'Honnête Homme…, réédition de 1665, p. 113.

C’est à ce titre qu’il sera encore mentionné par Morvan de Bellegarde dans ses Réflexions sur le ridicule et sur les moyens de l’éviter (1697) :

L’empressement de débiter toutes les nouvelles que l’on sait, ou qu’on croit savoir, fait souvent regarder comme des importuns ceux qui les racontent : la plupart des nouvelles n’intéressent guère les personnes qui les écoutent et les empêchent de dire des choses qui leur feraient plus de plaisir. Les diseurs de nouvelles sont d’ordinaires des génies stériles, qui ne pensent point et qui n’ont pas toujours de quoi soutenir la conversation par eux-mêmes. Il est plus aisé de raconter ce qu’on a entendu dire ou ce qu’on a lu dans La Gazette que d’imaginer de jolies choses. (p. 391-392)

C’est ce personnage, dont “la passion dominante [est] de parler continuellement de nouvelles et d’en demander sans cesse aussi bien que d’en débiter” (t. II, p. 218), que Donneau de Visé choisit comme héros de la nouvelle destinée à occuper le second, puis le troisième tome de ses Nouvelles Nouvelles. Une telle option lui offre l’occasion de traiter du thème de la curiosité, qui revêt des enjeux capitaux pour la culture mondaine, tout en lui fournissant une commode structure d’encadrement.

Il donne à ce « curieux de nouvelles » le nom de « nouvelliste », en reprenant un qualificatif jusqu’alors utilisé pour désigner les individus coupables de faire circuler illégitimement les informations à caractère politique et lui fait adopter un comportement d’extravagant : le personnage non seulement hérite des traits habituels liés à la représentation de la curiosité (en particuliers ceux qu’avait mis en évidence le traité « De la curiosité » de Plutarque) et à l’imaginaire de l’activisme politique de rue, mais il se voit en outre crédité d’une série de défauts rédhibitoires pour les mondains, dont certains directement inspirés de scènes de la comédie des Fâcheux :

A ce « nouvelliste mondain » sont en outre attribuées des caractéristiques inspirées des difficultés relatives au contrôle de l'information que rencontre le pouvoir louis-quatorzien. Le travers consistant à vouloir à tout prix connaître "les secrets du cabinet" et à raisonner indûment sur ces questions renvoie, sur un mode parodique et ridicule, aux pratiques réelles de diffusion anarchique de l'information. Suite logique de cette curiosité mal placée, les nouvellistes prétendent connaître la solution et la fin de toutes les affaires, à l'instar des "donneurs d'avis" dont Molière avait fait le portrait à la sc. III, 3 des Fâcheux (personnage d’Ormin) en s’inspirant de la tradition satirique espagnole des arbitristas. [citation] C'est là une caractéristique récurrente dans le "Portrait des nouvellistes" du tome III des Nouvelles Nouvelles : "Comme ils [les nouvellistes] raisonnent généralement sur toutes choses et qu’ils se mêlent de tout savoir, ils sont tous rois, ministres, juges, capitaines et soldats […] L’on ne saurait dire un mot d’une affaire, qu’ils ne disent qu’ils la savent à fond. […] Ils savent tous les grands procès et plaident souvent au milieu d’une troupe de leurs semblables la cause de l’une des parties, et donnent ensuite un arrêt, qu’ils soutiennent devoir être tel à moins qu’il y ait de l’injustice […] ils marient les rois et les princes, font la paix, déclarent la guerre."

Le personnage sera repris à plusieurs reprises par Donneau de Visé. La littérature mondaine de la fin du siècle et celle du XVIIIe siècle en feront également un usage soutenu.

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