Le terme « nouvelle » dans les Nouvelles Nouvelles

Dans le titre et le contenu des Nouvelles Nouvelles, le terme “nouvelle” peut être envisagé tour à tour selon des significations différentes. Tantôt il désigne le genre narratif, tantôt il est à comprendre dans le sens d’informations de première main. En outre, en tant qu’adjectif, il souligne la nouveauté de l’un et de l’autre. Le pluriel insiste enfin sur l’abondance et la diversité des contenus.

C’est donc un titre intentionnellement polysémique que Donneau a choisi pour son ouvrage. En reprenant l’énoncé frappant par lequel on dénommait le recueil médiéval remis à la mode par La Fontaine (les Cent Nouvelles Nouvelles seront explicitement mentionnées dans ses Contes et nouvelles en vers en 1665), Donneau jouait des ouvertures de sens que permettait l’ambiguïté du terme, encore accentuée par son redoublement. “Nouvelles” comme récit fictionnel, mais aussi comme informations inédites, “nouvelles” comme qualificatif flatteur évoquant l’actualité et l’innovation.

Le contenu de l’oeuvre est à l’avenant. Différentes nouvelles (au sens de fictions narratives) y sont présentées aux lecteurs, dont l’une, intitulée « Les Nouvellistes », met en scène des personnages friands de nouvelles (informations inédites en tout genre), qui lisent également une nouvelle (l’histoire du “Jaloux par force”), laquelle présente la caractéristique d’être elle-même inédite !

Et le texte de ces nouvelles s’amuse des ambiguïtés sur lesquels il bute. Le dénommé Lisimon reconnaît se trouver dans l’impasse : “Et puis, quand je le trouverais dans quelque temps, à quoi cela me servirait-il, puisque ces nouvelles ne seraient plus nouvelles ?” (t. II, p. 16). Plus loin, il se fait fort de montrer une « nouvelle » à ses homologues (p. 200) : est-ce une « nouvelle » dans le sens de « récit fictionnel » ou d’« d’information inédite » ? On apprend ensuite (p. 300) que la « nouvelle de Lisimon » est en fait « Le Jaloux par force », donc une fiction littéraire, de surcroît remarquable par sa “nouveauté” : « Ce titre est nouveau, repartit Ariste, et je n’en ai point encore vu de semblable » (p. 301).

Donneau de Visé justifie ainsi galamment l’unité de son œuvre par cette ambivalence, exploitant l’amalgame entre deux sens du mot « nouvelle ».

« Nouvelle » contre « roman » ?

Mais, dans sa richesse sémantique, le titre “Nouvelles Nouvelles” peut également être interprété comme la manifestation d’une volonté de mise en cause du roman et d’aspiration à de nouvelles formes narratives, conformément à un discours répandu au début des années 1660 : « nouvelles », dans son dédoublement, peut s’entendre, aussi bien et alternativement, comme nom substitutif à « roman  » que comme adjectif affirmant la prétention de renouveler le genre narratif en prose. Au reste, quelques passages des Nouvelles Nouvelles, en ironisant sur certains procédés propres au roman, font écho aux considérations sur la vraisemblance que l’on trouvait déjà chez Segrais ou dans Les Divertissements de Forges (1663). Sous cet angle, l’ouvrage de Donneau participe de la mutation générale qui se produit alors au sein de la fiction narrative (histoires plus courtes, épisodes moins nombreux, recherche de vraisemblance, familiarité de l’univers fictionnel, simulation de l’oralité, etc.).

Cependant, l’originalité de l’ouvrage de Donneau ne réside pas dans cette rupture amorcée avec le « genre romanesque » (genre multiforme, auquel la nouvelle participe nolens volens), mais plutôt dans sa construction propre et dans son contenu. En effet, si les Nouvelles Nouvelles présentent certaines caractéristiques qui les distinguent du roman (selon les critères énoncés plus haut), elles ne sont en aucun cas représentatives du genre « nouvelle » (lequel est d’ailleurs très difficile à définir tant les variantes qu’il admet sont multiples : nouvelle historique, nouvelle galante, nouvelle journalistique, petit roman, etc.). Toutefois, même si chacun des éléments composant les Nouvelles Nouvelles peut être mis en relation avec des tendances contemporaines, l’ensemble forme in fine une sorte d’apax dans le champ littéraire, que l’on considère les thèmes abordés (indiscrétion, question des nouvellistes et de la diffusion de l’information), la narration (ou plutôt les formes de narrations diverses entre le tome I et les tomes II et III), le ton employé (satirique dans “Les Nouvellistes”) ou la construction de l’ensemble. Il semble donc difficile de décrire les Nouvelles Nouvelles comme un ouvrage mû par une volonté ferme d’afficher une rupture avec le roman, même s’il est clair que l’œuvre participe certainement à l’évolution contemporaine des genres narratifs (et à la réflexion théorique qui l’accompagne).

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